Donc attention : ici article sérieux ! On vous aura averti.
J'ai reçu chez moi le numéro de la semaine dernière de Valeurs Actuelles - exemplaire qu'ils m'envoient gracieusement tous les six mois dans l'espoir que je m'abonne, mais rien à faire, malgré la qualité de la revue, ils ont encore des progrès à faire en libertarisme pour que mon porte-monnaie vote pour eux.
Il y a dans ce numéro un article intitulé "Suicide assisté, la polémique suisse". Un sujet pas particulièrement gai que j'avais évoqué en septembre dernier. On y parle de cette association suisse "Dignitas" qui aide au suicide (le suicide assisté est légal en Suisse). L'association a été fondée en 1998 par un avocat zurichois, Ludwig Minelli.
Cela soulève beaucoup d'indignation et alimente des polémiques. Les réactions des opposants m'intéressent, car elles témoignent de cette volonté d'imposer ses propres choix aux autres, matrice de l'antilibéralisme et de tous les totalitarismes.
Laissons de côté les réactions stupides des voisins de l'association qui ont obtenu son départ de Zürich : ils considéraient la présence de Dignitas près de chez eux comme une nuisance. Ils en avaient marre de voir sortir les cercueils, les pauvres chéris ; ça leur rappelait sans doute trop durement quelle est l'issue irrémédiable de cette "vallée de larmes" comme disent les chrétiens réalistes (pas les benoîts qui croient au πάντα τα καλά). "Memento mori", disait un sage, "quotidie morior" ajoutait un apôtre.
Voyons donc les autres réactions négatives.
On accuse l'association de gagner de l'argent sur le dos des morts (argument qui devrait plaire au petit franchouillard moyen qui aime bien l'argent qu'il gagne mais pas celui qui va aux autres quelle qu'en soit la raison). Mais si c'est mal, il faut alors interdire tous les métiers des pompes funèbres. Et interdire l'exercice de la médecine, qui conduit à gagner de l'argent sur le dos des malades. Et l'enseignement, qui exploite l'ignorance, etc.
"Il n'y a qu'un pas entre aider à mourir par pitié et aider à mourir pour des raisons économiques" dit un député médecin suisse qui doit être plus député que médecin (d'ailleurs ce maniaque veut interdire de fumer au volant - une telle interdiction existe déjà au Canada). On pourrait lui rétorquer que pour un médecin il n'y a qu'un pas entre soigner un malade par compassion et le soigner parce que ça rapporte de l'argent. Bien malin qui peut trouver la frontière. En éthique libertarienne, une action doit être jugée légitime en elle-même, selon sa nature, pas selon l'intention de l'acteur (peut-être impossible à connaître).
Un "philosophe", "spécialiste d'éthique", déclare que "suicider quelqu'un, c'est commettre un meurtre". Or l'association Dignitas ne "suicide pas", elle assiste ; c'est l'intéressé qui va tout seul jusqu'au bout de sa décision.
Vraiment, la légèreté, si ce n'est l'imbécilité, des objections soulevées par les moralisateurs bien-portants est insoutenable face à la gravité du problème et à la souffrance réelle des personnes.
C'est l'occasion pour moi de revenir obstinément sur les principes libertariens : toute action qui n'agresse pas autrui est légitime, et toute personne qui s'y oppose par la force est esclavagiste. En termes libertariens pédants : la propriété de soi-même légitimant toute action qui ne nuit pas à autrui ni à sa propriété, la protection de l'exercice de l’autonomie prend le pas sur toute autre considération, y compris la protection de la possession continue de l’autonomie morale. Le suicide, assisté ou non, est donc légitime.
Voyez un peu ce qu'en dit dans l'article de V.A. ce philosophe, spécialiste des tiques (il se pique en tous cas de l'être) : "se suicider est une liberté à la fois sauvage et autodestructrice qui ne dépend d'aucun droit". Une "liberté sauvage", qu'est-ce que c'est ? De quel droit ce monsieur porte-t-il un tel jugement ? Ne serait-ce pas lui, le sauvage, qui veut empêcher les gens d'agir comme ils l'entendent ?
Le consentement est bien sûr la pierre de touche pour juger de la validité d'un comportement.
Concernant le candidat au suicide, il est évident que son consentement doit être acquis, vérifié, authentifié de toutes les manières possibles. Dignitas écarte d'ailleurs les simples dépressifs et aide principalement ceux qui sont atteints de maladies incurables ou qui souffrent physiquement atrocement.
Une fois le consentement établi, on ne peut condamner ni celui qui agit, ni ceux qui l'aident dans sa détermination.
Dignitas retourne contre ceux qui l'emploient d'ordinaire abusivement le vieil argument très discutable, d'origine kantienne, de la "dignité humaine", qui est souvent le prétexte du paternalisme étatique. Vous savez, cette "dignité humaine" qui interdit le lancer de nains, la prostitution, la notation des profs par les élèves, la pornographie, le sadomasochisme, la consommation de drogue, et bientôt de tabac et d'alcool... On peut tirer tout ce qu'on veut de la "dignité humaine", y compris la solidarité obligatoire et la Sécurité sociale vampirisante.
Pierre Manent, libéral mou, a publié récemment un "Cours familier de philosophie politique" chez Gallimard. Dans l'avant-dernier chapitre, "l'empire de la morale", il distingue deux types de morales universelles (après avoir écarté la charité, idée qu'il juge trop chrétienne et pas assez universaliste) : la morale de la pitié, et la morale de la dignité, qu'il semble préférer. L'avantage (ou l'inconvénient) de cette dernière est qu'on peut l'accommoder à toutes les sauces. Pourtant Manent cite la définition bien connue de Kant : "L'humanité elle-même est une dignité ; car l'homme ne peut être utilisé par aucun homme simplement comme moyen, mais il faut toujours qu'il le soit en même temps comme une fin, et c'est en cela précisément que consiste sa dignité". Cela rejoint de mon point de vue le principe de non agression libertarien : le consentement de l'autre (verbal ou contractuel) m'assure que je ne le traite pas comme un moyen, que je respecte sa dignité. C'est l'inverse du collectivisme, qui ne reconnaît aucune dignité à l'individu.
Le sujet de l'euthanasie volontaire fait souvent l'actualité. Après l'affaire Vincent Humbert, vous avez entendu parler de cette malade défigurée, Chantal Sébire, qui demande le droit de mourir. Dans son dernier livre, Le divorce français : Le peuple contre les élites, François de Closets consacre un gros chapitre à cet état français qui empêche les gens de vivre et aussi de mourir.
Si l'Etat commençait à s'occuper de son vrai "corps de métier", faute de mieux, avant de promouvoir une morale hasardeuse, on verrait dans ce pays autre chose que des loques assistées. Mais il ne veut pas nous lâcher, jusque dans la mort !
8 commentaires:
"Une fois le consentement établi, on ne peut condamner ni celui qui agit, ni ceux qui l'aident dans sa détermination"
Je me trompe ou vous ne faites qu'aséner une opinion sans la justifier le moins du monde?
Dsolé, mais en France le meurtre est pénalement répréhensible. Ensuite, que tu aides quelqu'un à se tuer, désolé mais c'est un meurtre, purement et simplement. Si quelqu'un veut se suicider, qu'il le fasse. Ensuite, qu'on habille le terme suicide par "assistance" ou "accompagnement" ne me paraît être qu'une nouvelle preuve de la novlangue pratiquée aujourd'hui. Ah oui : un aveugle, aujourd'hui, c'est un "malvoyant".
Et si demain, ton voisin te dit qu'il en a assez de sa dépression et qu'il te demande de lui injecter de l'acide nitrique dans les veines, tu fais quoi?
se suicider n'est simple qu'en théorie. En pratique c'est horriblement compliqué, et moi qui suis médecin serais bien embarrassé de devoir passer à l'acte. A fortiori pour un "profane" qui plus est diminué par une maladie.
affirmer ainsi "Si quelqu'un veut se suicider, qu'il le fasse" est bien léger...
Au chafouin : si mon voisin vient me voir pour que je l'aide à se suicider, je n'ai aucune obligation à son égard. Le consentement, ça vaut dans les deux sens.
Ce que vous appelez un meurtre n'en est pas un dans le cas de Dignitas, qui ne suicide pas, mais assiste. Un meurtre est une agression contre une personne : où voyez-vous l'agression ?
Ou alors vous admettez qu'on DOIT assister les gens pour les maintenir en vie, même contre leur volonté. J'appelle ça de l'esclavagisme. Vous changeriez sûrement d'avis si vous aviez une maladie mortelle ou une souffrance insupportable.
A Paul, personne ne vous demande de passer à l'acte, c'est comme l'avortement, on n'oblige pas les médecins à le pratiquer.
non, je voulais dire "si MOI je devais me suicider"
très bel article
bravo !
@paul
Je ne vois pas pourquoi la société devrait prendre la responsabilité d'un mal être individuel...
@laure
un meurtre n'est pas une agression, un meurtre, c'est el fait de tuer quelqu'un. Vous pouvez parler d'assistance, il y a injection d'un produit létal, oui ou non?
"Vous changeriez sûrement d'avis si vous aviez une maladie mortelle ou une souffrance insupportable." en disant cela, vous méprisez tous ceux qui ont ce type de maladie et qui se battent courageusement, tout simplement parce qu'ils ont un instinct de survie, ou parce qu'ils ont des convictions fortes au sujet de la vie. Nous ne sommes pas des animaux, que diable!
@Paul : JE comprends ce que vous dites. Peut-etre que comme de nombreux médecins vous avez choisi votre profession par peur de la mort. La pratique de la médecine et du soin, permet de tenir la camarde à distance. Ou du moins d'avoir cette illusion.
Le meurtre n'est pas le fait de tuer quelqu'un. Par exemple, tuer quelqu'un en état de légitime défense n'est pas un meurtre.
Définition du meurtre dans le code pénal, d'après le juriste Garraud : « destruction volontaire et injuste de la vie d’un homme par le fait d’un autre homme ».
De plus, dans le cas qui nous occupe, il n'y a pas injection d'un produit létal. C'est le patient qui boit lui-même le produit (15 grammes de natrium pentobarbital, c'est un barbiturique mortel).
Je copie-colle un article trouvé dans le cache de Google :
Dignitas, comment ça marche
200 personnes, dont deux tiers d'Allemands, se donnent la mort chaque année chez Dignitas, l'organisation d'assistance au suicide
Renaud Michiels - 02/10/2007 Le Matin
Dignitas, c'est quoi?
Fondée en 1998 et dirigée par l'avocat Ludwig A. Minelli, aujourd'hui 74 ans, Dignitas est une organisation basée à Zurich qui propose une aide au suicide, y compris aux personnes n'habitant pas en Suisse.
L'assistance au suicide consiste à fournir une potion mortelle à un adulte atteint d'un mal incurable, qui a toute sa tête et souhaite mettre fin à ses jours. Elle est autorisée en Suisse si elle n'est pas menée pour des motifs «égoïstes» - hériter par exemple.
Le patient doit boire lui-même la potion. Si un médecin la lui donne, il s'agit d'«une euthanasie active directe», illégale et considérée comme un meurtre.
200 personnes par an (195 en 2006) se suicident avec l'aide de Dignitas. L'an dernier, 120 d'entre eux étaient des Allemands.
La Suisse, la Belgique et les Pays-Bas sont les seuls pays européens à tolérer l'aide au suicide.
Quel est le cocktail fatal utilisé par Dignitas?
Dignitas fournit à ceux qui désirent se suicider 15 grammes de natrium pentobarbital (NAP), qui doit assurer une mort douce. Il s'agit d'un acide barbiturique mortel classé dans la catégorie des stupéfiants.
La poudre de NAP est dissoute dans un verre d'eau puis avalée.
Deux à cinq minutes après l'absorption, la personne perd connaissance et est plongée dans un coma total.
Après une durée variable selon les personnes, la respiration s'amenuise.
Le pentobarbital finit par paralyser les fonctions respiratoires.
Le décès est constaté habituellement moins de trente minutes après l'absorption. De l'arrivée du candidat à la mort dans les locaux de Dignitas à la sortie du cercueil, on estime qu'il se déroule environ deux heures.
Mourir avec Dignitas, combien ça coûte?
Pour bénéficier des services de Dignitas, il faut en être membre. L'adhésion coûte 100 francs par an. A noter que l'organisation compte 5000 adhérents répartis dans 50 pays. En général, le prix moyen d'un suicide assisté chez Dignitas est estimé à 3000 francs. Mais un ancien employé de l'organisation a affirmé qu'il s'agirait plutôt de 5000 euros, soit plus de 8300 francs. D'autres encore avancent un chiffre à mi-chemin de 5800 francs (3500 euros)... Dignitas n'est pas un modèle de transparence en matière d'argent. Et ce flou est possible car l'organisation facture à la fois les frais administratifs, l'accompagnement et l'incinération.
Restent deux certitudes: Dignitas se présente comme non lucrative. Et elle n'est pas autorisée à faire du profit.
Dignitas attire-t-elle les célébrités?
Le 19 septembre dernier, l'actrice française Maïa Simon, 67 ans, est venue mourir à Zurich, avec l'aide de Dignitas. Atteinte d'un cancer généralisé, elle souhaitait «abréger ses souffrances». Celle qui avait joué avec Jean Rochefort et Claude Brasseur dans «Thierry la Fronde» avait dénoncé «l'hypocrisie» française en matière d'euthanasie.
Ozzy Osbourne songe, lui aussi, à recourir à Dignitas. Marqué par la longue dégénérescence du père de son épouse, Sharon, atteint de la maladie d'Alzheimer, le rocker américain vient de signer un «pacte de suicide» avec sa femme. «Si nous devions avoir une maladie qui gagne notre cerveau, nous avons prévu de nous rendre en Suisse.»
Quelles sont les différences entre Dignitas et Exit?
Tout comme Dignitas, l'organisation Exit s'occupe d'assistance au suicide. Mais, contrairement à Dignitas, avec sa branche EXIT ADMD (Association pour le droit de mourir dans la dignité), l'organisation est présente en Suisse romande.
Il existe deux différences fondamentales entre les deux. D'abord, Exit n'intervient que pour des personnes domiciliées en Suisse . Il n'a donc jamais été reproché à l'association de favoriser le «tourisme de la mort». Ensuite, Exit intervient toujours au domicile de ceux qui souhaitent mourir . En Suisse romande en 2006, une soixantaine de personnes se sont suicidées avec l'assistance d'Exit. EXIT ADMD a plus de 11 000 adhérents. A part le coût annuel de l'adhésion (35 fr.), le suicide est complètement gratuit.
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